Séraphine

Janvier 2014, Douala, Cameroun, 15h. Au mois de janvier à Douala, la chaleur pénètre votre corps. C’est la première sensation que vous inaugurez à la sortie de l’avion, sur le tarmac du Douala International Airport : elle vous enveloppe comme une gangue. Elle a une odeur : l’odeur de la terre et de l’humidité. Loin du froid vif de Paris, je me laisse glisser dans cette chape brûlante et délassante.

C’est à Douala que réside Séraphine, dont j’ai fait connaissance en janvier 2015, dans le cadre d’un voyage familial.

Nous sommes à la maison chez Papa Eti et Maman Thé quand elle arrive. Nous avons été plutôt actifs dans la matinée mais la chaleur nous a rendu groggy, et je suis avachie sur le canapé du salon. On entre, je me lève pour dire bonjour. Je me sens immédiatement à l’aise avec Séraphine.

Je pense au départ qu’elle a mon âge et commence à lui poser des questions en ce sens. Finalement pas du tout, Séraphine à 20 ans de plus que moi, est maman de 5 enfants âgés de 19 ans à 6 mois. Je suis abasourdie, elle en paraît 25...!

Séraphine est couturière, métier qu’elle exerce depuis 1998, mais rien ne la prédestinait à suivre cette voie : jusqu’à l’adolescence, elle voulait être vétérinaire, mais la vie en décide autrement et elle doit commencer à gagner de l’argent rapidement. Elle devient apprenante auprès de l’entreprise Samy Fashion, le plus grand couturier de la ville de Bafoussam à l’Ouest du Cameroun, dans les « grassfields », là où la température est clémente et la nature généreuse.

Grassfields (groupement Fossong-Wentcheng)

Cette région est celle des Bamilékés, peuple originaire de la haute Egypte (IXe siècle) et qui constitue aujourd’hui l’un des plus grands groupes ethniques du Cameroun. Séraphine est elle-même Bamiléké et originaire d’un petit village accroché dans les montagnes à 1500m d’altitude : Fotesta. Après son mariage, c’est donc dans cette région qu’elle s’établit avec son mari.

Samy Fashion avait sous sa direction 50 apprenantes et est favorablement impressionné par le travail de Séraphine. Il apprend aux couturières à réaliser des modèles majoritairement européens : tailleurs, jupes, vestes… Elle et sa famille restent là-bas quelques années, mais son mari doit bientôt quitter la ville pour Yaoundé, la capitale politique du Cameroun. Sa famille le suit. Séraphine continue cependant toujours son activité de couturière de façon indépendante, au gré des commandes et du bouche-à-oreille.

De nouveau, son mari doit se déplacer et toute la famille part donc cette fois à Douala, la trépidante capitale économique et sa chaleur accablante. Des problèmes de santé l’obligent à restreindre son activité pendant plusieurs années.

Finalement, elle ouvre son propre magasin à Douala de 2005 à 2011. L’affaire fonctionne bien, malgré les lourdes charges et l’administration « inventive » du Cameroun. Malheureusement, de nouveau, elle est rattrapée par de lourds problèmes de santé.

Finalement quand je la rencontre en 2014, elle sort de cette période difficile. Elle vient nous voir car Maman Thé a commandé une tenue auprès d’elle pour moi, nous faisons donc quelques essayages. Je trouve le modèle confectionné très seyant et cela me donne des idées… Je lui demande s’il est possible de choisir le tissu pour réaliser une autre tenue que je souhaite cette fois dessiner.

Cette année là, je lui demande donc de me confectionner plusieurs tenues pour moi, mais l’année d’après, je reviens pour essayer de lancer une activité avec elle si elle le veut bien, et maintenant nous travaillons ensemble !

Nous avons lancé une première collection de vêtements sur-mesure en mars dernier et cela marche plutôt bien pour le moment.

Notre collaboration est fructueuse et se fait surtout grâce à Facebook, qui nous permet de communiquer aisément même si nous sommes à 6000km l’une de l’autre.

Toutes les tenues portées par Séraphine sur les photos sont ses propres créations ;)