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Les médias sociaux vont-ils libérer le corps des femmes ?

  • Elfie
  • 17 févr. 2017
  • 5 min de lecture

Patatras ! Lors de la fashion week de New-York cette semaine, le génial créateur américain Michael Kors faisait défiler la mannequin Ashley Graham, dite mannequin plus-size (mais qui, selon nous, est tout simplement une femme aux mensurations dans la moyenne).

Photo: défilé Michael Kors prêt-à-porter, mannequin Ashley Graham


On est loin de la docta autoritaire et presque fascisante d'un certain Lagerfeld pour lequel : « ce sont les grosses bonnes femmes assises avec leur paquet de chips devant la télévision qui disent que les mannequins minces sont hideux». Si ce dernier tente d'imposer Lily-Rose Depp, qui se confie anorexique sans que personne ne paraisse s’en émouvoir ou ne songe à la secourir, la tendance est à l'acceptation des courbes du corps féminin.


N’en déplaise à Karl, Ashley fait rêver et elle fait vendre ! Les femmes ripostent et plébiscitent cette self-made women dont la silhouette rappelle davantage celle d’une femme que d’une fillette.


Oui, les femmes « plébiscitent » par le pouvoir à double tranchant du like: la jeune femme de 28 ans s’est constituée un coquet capital de 3,3 millions de followers sur Instagram, devenant ce que l’on nomme aujourd’hui une influencer.

Ashley Graham doit pour partie sa communauté à son physique, mais aussi à son franc-parler qui, à l’heure du marketing des valeurs donne un gage d’authenticité à quiconque l’utilise dans ses campagnes.

Elle n’hésite pas à publier des photos « envers du décor » dans lesquelles elle valorise le fait d’avoir de la cellulite ou des vergetures, dont elle fait des marqueurs de féminité (à juste titre médicalement). (Photo from: @theashleygraham)


Et elle n’est pas la seule dans ce cas. Alors qu’elle était jugée par les professionnels « trop grosse pour défiler » [sic], une autre des mannequins les plus en vogue du moment, Gigi Hadid, a finalement obtenu une reconnaissance du milieu grâce à sa popularité sur Instagram.

Aujourd’hui, armée de ses 29,5 millions de followers, plus aucun défilé ne lui résiste. Elle-même note un changement dans le monde de la mode:

"Non, je n’ai pas le même type de corps que les autres modèles qui défilent. [...] Vous pouvez inventer toutes les raisons pour lesquelles vous pensez que j’en suis là, mais je travaille très dur et je suis simplement arrivée à un moment où l’industrie de la mode était prête à changer. Je fais juste mon travail. Je représente une image corporelle qui n’était pas acceptée par les grands noms de la mode jusqu’à maintenant et je suis chanceuse d’être choisie par des stylistes, des designers et des photographes. Nous sommes en 2015. [...] Oui, j’ai des seins, des abdominaux, des fesses et des hanches. " (extrait de son compte Instagram).


Les exemples sont multiples et permettent d’envisager une évolution des mentalités : grâce aux réseaux sociaux, les mannequins reprennent le pouvoir sur l’image qu’elles mettent au service des marques. Elles disposent d’un capital tangible et chiffrable: leur communauté de followers. Elles ont la latitude de marquer une personnalité affirmée, qui est d’ailleurs bien souvent le pendant de leur popularité. On est loin de la femme inaccessible à la moue d'abandon jouissif imposée sur le papier glacé.


Il faut cependant reconnaître que le phénomène des it-girls et de leur pouvoir sur la mode n'est pas nouveau. Mais ce qui est nouveau, c'est que ce sont désormais elles qui ont vraiment le pouvoir: plus besoin de se faire adouber par les magazines en vogue et de se plier à leur rhétorique policée pour percer. Cela n'était pas le cas à l'époque des Kate Moss, Naomi Campbell ou autres super-modèles des années 1990.


Par exemple, ce qui a notamment fait connaître Kate Moss à l'époque était ses photos "waif" c'est à dire son style "enfant des rues": un style épuré, sans maquillage, sans artifice, brute et grunge.

Photo de la photographe Corinne Day pour Vogue: le style waif de Kate Moss


Mais, quand bien même le mouvement était plébiscité par le public, il n'a pas fait long feu auprès des magazines de mode. Comme le rapporte un article du New York Times de 1994, si le secteur a laissé le mouvement perdurer quelques mois, il a finalement donné lieux à une véritable "réunion au sommet" des éditeurs des magazines les plus influents pour briser la vague.


L'industrie n'avait que modérément apprécié l'irruption de la waif: si elle collait à l'esprit de la jeunesse, elle n'en plombait pas moins les ventes et les budgets publicitaires (money money...). [1]

Le look grunge ne faisait pas les affaires des annonceurs: "La waif, ça ne marchait pas", déclarait ainsi en 1994 Anna Wintour, la célèbre patronne du Vogue américain. "La petite robe combinaison et les baskets, c'est trop difficile, et l'absence de maquillage, les cheveux sales, ce n'est pas ce que les Leonard Lauder du monde entier veulent voir" [2] - faisant ici allusion au patron d'Estée Lauder, un annonceur important pour les magazines de mode.

Le glas de la waif avait sonné et il était temps d'annoncer le retour du glamour. Anna Wintour s'en chargea: "Vogue croit en une seule chose: le glamour" annonça-t-elle alors. Le grand mot lâché, les autres acteurs du secteur n'ont pas tardé à suivre. Au mois de mai 1994, Vogue proclamait le nouvel idéal type: "Strong and sexy"...


Bref, les modèles restaient à la merci des médias papiers, qui, s'ils utilisaient volontiers la fascination qu'elles exerçaient, se refusaient à leur concéder la moindre marge de manœuvre concernant la direction artistique.

C'est différent aujourd'hui: grâce aux réseaux sociaux, les mannequins créent leur capital de followers, et supplantent ainsi le rôle de médiateur traditionnellement occupé par les magazines.


Mais encore, de l'autre côté du miroir, le public féminin a la possibilité de choisir les images auxquelles il veut être exposé. Les femmes peuvent choisir qui va les influencer en suivant une personne plutôt qu'une autre. Il n'y a plus un modèle unique de femme auquel s'identifier. Le temps d'une définition unique de la beauté délivrée par les médias autorisés est révolu.


Par ailleurs, il est désormais possible d’être informé sur les artifices utilisés par les maquilleurs, les photographes et Photoshop pour produire des muses de papier glacé à la chaîne.


Les photos sont savamment décortiquées et rien n’échappe à la vigilance des followers, comme par exemple ce cliché de la supermodèle Kendall Jenner, faussement pris sur le vif mais finalement modifié pour réduire la taille de la mannequin.

(Photo from: @excpose : l'usage de photoshop apparaît avec le reflet courbé: quand je vous disais que les followers sont de véritables fouines ;)! )

L'influence des instagrammeuses devient aujourd’hui de plus en plus marquée, de telle sorte que sur la récente couverture-anniversaire du 125e numéro du sacro-saint Vogue, le magazine reprend [hypocritement] à son compte cette évolution.


Sur la couverture, les plus grandes stars des réseaux sociaux avec ce titre « Women’s rule »… (et sur laquelle ne figure pourtant aucune femme noire: tout au plus un léger métissage…).


Il reste encore du chemin à parcourir pour enfin se libérer du poids pesant des canons de beauté inscrits dans nos chairs [3], mais… sentez-vous le léger frémissement de la révolte des femmes ?


"Toutes les grandes révolutions [à Rome] vinrent des femmes: par une femme, Rome acquit la liberté, par une femme, les plébéiens obtinrent le consulat, par une femme, finit la tyrannie des decemvirs, par les femmes; Rome assiégée fut sauvée des mains d'un proscrit."

Rousseau


[1] Christian Salmon, Kate Moss Machine, Ed. La Découverte

[2] Amy M.Splinder, How fashion killed the unloved waif, New York Times, 27 septembre 1994

[3] 90% des personnes souffrant d'anorexie sont des femmes

(Pour écrire cet article, je me suis également inspirée du travail de Mona Chollet dans son ouvrage Beauté fatale aux éditions de La Découverte)




 
 
 

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