Le wax, un tissu "africain" ?
- Elfie
- 23 févr. 2017
- 4 min de lecture

Généralement, quand je montre ce que je fais à quelqu’un qui ne sait pas ce qu’est le wax, j’introduis mon propos en expliquant qu’il s’agit du « boubou » ou du « tissu africain ».
Cette image permet de se faire comprendre instantanément sans passer par une description du tissu en lui-même.
Et pourtant, comme beaucoup de choses dans la vie, la vérité est plus compliquée que cette explication expéditive !
Queen B wearing wax
La question de l'appartenance culturelle des "imprimés africains" est complexe et soulève les passions, comme en atteste la récente publication de cet article ayant totalisé un record de commentaires et de réactions sur la page du site Pagnifik (spécialisé dans l'actualité wax en France):

Les sensibilités sont vives car l'expansion du wax sur le territoire africain est le résultat d’une partie de l’Histoire que chacun aimerait effacer: la colonisation.
Pour ce qui concerne l'invention du wax, elle est le produit d'une première colonisation: celle de l’Indonésie par les Pays-Bas. On parlait alors à l'époque des « Indes orientales néerlandaises ». Ce territoire possédait notamment une grande richesse dans ses tissus "batiks", dont la confection était laborieuse et coûteuse. Très artisanale, elle requérait un savoir-faire complexe et des heures de travail.
Les colons néerlandais ayant identifié un marché, ils ont cherché à en industrialiser la production afin d'assurer une production de masse.

Ainsi, le wax tel qu’on le connaît aujourd’hui est né au XIXe siècle, quand les fabricants européens sont parvenus à reproduire les batiks indonésiens de manière industrielle et à moindre coût.
Couple de colons européens des Indes néerlandaises portant du batik (1900-1920)
Enfin, le marché lucratif du wax est le fruit d’une autre colonisation, celle de l’Afrique de l’Ouest: si la plupart de ces imitations de batiks étaient à l’époque d’abord vendues en Europe et en Indonésie, elles ont été progressivement importées en Afrique de l’Ouest. Son expansion y sera fulgurante. Le wax y acquière rapidement un rôle social en devenant un signe de pouvoir et de richesse réservé aux élites.
Aujourd'hui, l’Afrique de l’Ouest est le marché de prédilection de ce tissu, et ce sont désormais les goûts des acheteurs du Cameroun, de la Côte d'Ivoire, du Nigéria ou encore du Bénin qui dictent la création des tissus, et la majeure partie de la production a été relocalisée en Afrique.
Témoignage final du succès et de la démocratisation de cette étoffe sur le territoire : des copies issues de pays asiatiques envahissent le marché et rendent le wax accessible à toutes les bourses.

Puis, patatras ! En juillet 2008, l'article d'un universitaire nigérian met le feu aux poudres.
Dans "L’imposture des imprimés africains", Tunde Akinwumi décrit les origines complexes du wax et pose un constat : le wax a pris une telle ampleur qu’il nuit au rayonnement culturel des véritables tissus africains.
Sa vision s'exporte et gagne en premier lieu les Etats-Unis puis l'Europe.
Pour autant, nous pensons que ce dernier point est discutable.
En premier lieu parce que nombre de tissus africains ont une portée sacrée et cérémoniale. Ils marquent parfois même un caractère de divinité. Dès lors, les utiliser pour du prêt-à-porter reviendrait aussi à une sorte de déni de culture.
Photo de notre pagne "Mille et une nuits"
Par exemple, je me souviens avoir assisté à la nomination d’une Ma Fo’ (Reine Mère) par un chef Bamiléké à l'Ouest du Cameroun. Pour symboliser l'accession de cette femme qui avait fait beaucoup pour sa communauté à ce nouveau statut, le Chef lui a donné un habit confectionné dans le Ndop Bamiléké.
Ce tissu était le marqueur du nouveau statut de cette femme. Depuis que j’ai vu cette cérémonie, pour moi, le Ndop Bamiléké est en quelque sorte « sacré »: dans tous les cas, je n’oserai pas l’utiliser pour des vêtements destinés aux « communs des mortels ».

Sur cette image, la femme au centre porte le Ndop Bamiléké (bleu et blanc) - Clip You Bah You de Prince Patrice
Ce constat ne s’arrête pas au Ndop, sont aussi concernés d'autres tissus issus des territoires africains: le Kente, les toiles de Khorogo, le pagne tissu Guéré, le pagne tapa de Daloa...
Est-ce que le respect dû à ces tissus traditionnels explique le succès du wax, qui lui n'a pas cette portée ? Telle est la question que je me pose, et je n’ai pas la réponse !
Finalement, en dépit de la mise en exergue de cette histoire complexe, force est de constater que le wax reste connoté "africain" dans l'imaginaire collectif. Pour preuve, nombre des créateurs issus de ce continent se sont spécialisés dans ce tissu.
Avant de m'y intéresser de façon plus approfondie, je sais que j'aimais le wax car il me rappellait le Cameroun : parce que quand j’ai voyagé là-bas, on m’a offert des vêtements en wax, parce que les femmes qui vendent sur le marché le portent quasiment toutes, parce que c’est là-bas que je trouve le plus de choix quand j’ai besoin d’acheter du wax...
Aujourd'hui, j'en sais davantage, et il ne me reste plus qu'une chose à dire au-delà de ces palabres: le wax est un tissu superbe...
*

La chanteuse Alicia Keys portant du wax
Comments